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« Ici commence un amour », de Simon Johannin : expérience d’amour immanent

« Ici commence un amour », de Simon Johannin, Allia, 256 p., 17 €, numérique 10 €.
Lorsque Théo, narrateur d’Ici commence un amour, entreprend d’ouvrir son récit, le temps semble suspendu : il évoque « cet instant sans passé ni futur » où Gloria, l’amour de sa vie, l’a quitté. Un soir de novembre qui le hante non comme un cauchemar, mais comme un rêve trop doux, dont on ne voudrait pas se séparer au réveil. Flottante, éthérée, Gloria est un idéal, et Théo n’arrive pas à s’en défaire. Mais la prose virtuose de Simon Johannin, déjà remarquée dans ses précédents romans chez Allia (L’Eté des charognes, 2017 ; Nino dans la nuit, 2019), nous mène bien au-delà de la simple histoire d’une rupture amoureuse.
Théo, d’ailleurs, ne demeure pas longtemps désœuvré. Il arpente Marseille et Paris, prend le pouls de divers milieux urbains pour vivre plus intensément encore. La langueur amoureuse qui le guette est toujours contrebalancée par le piquant de son esprit critique, et son lyrisme personnel, par les dialogues avec des personnages venus de tous les horizons. De la rue Saint-Denis aux défilés de mode parisiens, des chaleureux bars à chicha (aussi appelées « cannes à cancer ») de Marseille aux clubs où les jeunes filles s’agrippent à lui, Théo nourrit sa curiosité de manière presque boulimique. Il avoue pourtant que « manger le monde à la recherche de la nouveauté ne [l]’a mené qu’à [son] propre désordre ». Un désordre qui apparaît dans la narration − où sont insérés sans guillemets les mots de quelques énergumènes − et rend sa voix polyphonique.
Le jeune écrivain qu’est Théo, qui partage plus d’un trait avec l’auteur, verse ainsi dans la critique jouissive des hypocrisies de notre siècle. Dans son roman autobiographique « Le Misérable », mis en abyme au cœur de l’ouvrage, Théo s’attaque au milieu littéraire, croque écrivains à succès, journalistes futiles et éditeurs avides ; puis aux milieux « engagés » des bobos qui rongent la substantifique moelle de Marseille et des pseudo-féministes qui aiment « marcher sur l’érotisme des autres ». Il ne s’épargne pas non plus. « J’ai peur d’avoir écrit au service de ce que je récuse, de l’avoir fait par esprit de contradiction avec les prétentions de pureté morale de l’époque », confie-t-il.
Progressivement, le narrateur avoue ainsi son ambivalence et sa fragilité. Çà et là, des souvenirs affluent dans la narration, comme des relents mal digérés. « T’en as pas marre de faire tout le temps des révélations aux autres pour éviter de te regarder ? », lui avait lancé Gloria lors d’une dispute. Le récit n’est alors plus seulement celui d’une rupture, mais aussi celui d’une crise existentielle qui ne dit pas son nom.
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